Journal de l'économie

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Le prochain plan Marshall sera chinois !





Le 20 Mars 2020, par Christian Aghroum


Christian Aghroum, vous êtes spécialiste en gestion de crise, et vous êtes l’auteur d’un ouvrage paru chez VA Éditions sur l’Intelligence Artificielle. À cet égard, quelles réflexions vous inspire la crise sanitaire que nous traversons ? En verrons-nous rapidement la fin ?

Le prochain plan Marshall sera chinois !
Nous sortirons de la crise sanitaire, c’est indéniable. Quand ? Dans largement plus de quinze jours, cela me paraît évident. Il a fallu cinq semaines de confinement total aux Chinois pour commencer à sortir de chez eux et annoncer triomphalement des journées entières de non-contamination. D’autant que les pays du Sud s’apprêtent à affronter la vague pandémique sans infrastructures sanitaires identiques à celles de nos pays du Nord. Nous avons mis du temps à nous mettre en branle. Peu en importe les vraies raisons, il sera toujours temps de refaire l’histoire une fois la crise passée. Dans l’immédiat, faisons corps et allons de l’avant. Il n’est pas efficace en période de crise d’engager des polémiques ; on note les points d’amélioration futurs afin de ne pas les oublier puis on les range dans l’attente de la sortie de crise. Ce papier n’a d’autre ambition que de relever ces points d’après-crise ; l’expérience rappelle combien l’on oublie rapidement les leçons de l’Histoire. Il n’empêche qu’à ce jour l’Union Européenne compte plus de morts que la Chine. La Chine compte peu ou prou 1,4 milliard (1 384 millions) d’habitants ; l’Union Européenne en compte environ 450 millions (446 millions) soit environ 1/3 de la population chinoise. Voilà de quoi renchérir le sentiment de sidération qui nous envahit face au Covid 19. Les États-Unis affichent presque 330 millions d’habitants, le Canada un peu moins de 40 millions (le pays des grands espaces). Prenons rendez-vous au terme du conflit sanitaire : nous décompterons nos morts, les honorerons, bâtirons quelques monuments puis reconstruirons notre économie ; nous verrons alors quelles leçons tirer du temps pris à la discussion, à la tergiversation, à l’absence de benchmarking disons-le à l’absence de bon sens ! 

Le prochain plan Marshall sera chinois !

Il est certainement trop tôt pour en tirer des leçons, n’est-ce pas ?

Je n’appelle ni au désordre ni à la refonte de notre modèle de société, mais je n’en demeure pas moins critique. Notre société occidentale, si prompte ces dernières décennies à donner des leçons au reste du monde, devra se poser de vraies questions. 
Une première question sera celle de notre souveraineté nationale et de la redéfinition des priorités européennes. La crise nous aura appris à nous passer d’une grande partie du trafic aérien, à limiter les transports : va-t-on enfin réduire nos chaînes d’approvisionnement et réapprendre à vivre en autonomie au moins à l’échelle d’un continent, va-t-on réindustrialiser une partie de notre économie et tout particulièrement celle nécessaire à l’approvisionnement de nos besoins vitaux (nous sommes incapables de fabriquer en urgence le nombre de masques nécessaires à toute la population, mais aussi ceux qui subviennent à nos besoins : commerçants, policiers, gendarmes, services de secours…
Une deuxième question sera celle de notre réactivité : est-il nécessaire d’attendre que l’OMS annonce l’état d’épidémie pour se mettre en ordre de bataille, n’avons-nous pas suffisamment de compétences internes pour en décider par nous-mêmes ; toute crise exige des décisions prises par un chef unique certes, mais une crise se règle aussi dans la capacité à déléguer : quid du jacobinisme hexagonal, n’est-il pas enfin temps d’aller au bout de la décentralisation, serpent de mer politique de ces cinquante dernières années.
Une troisième question sera celle du lien armée-nation : les troupes armées, très présentes dans le cadre des opérations Vigipirate et l’ensemble des plans qui en découlent, ont tardé à être mises à disposition de nos concitoyens. Sitôt la crise sanitaire détectée [et non pas plusieurs semaines après qu’elle se soit déclarée] n’était-il pas temps de dresser des hôpitaux de campagne dans des points géographiquement stratégiques, comme la proximité des grands centres urbains par exemple. Ce pré positionnement aurait servi d’exercice à minima ; faute de conscription, de service militaire, disposons-nous encore de forces suffisantes pour mener à bien ces missions sur notre territoire : qui rappeler dans ces cas-là, réservistes, réserve civile, garde nationale [on en est où d’ailleurs de cette initiative] ? Aviation et marine sont enfin mises à contribution, fallait-il attendre si longtemps alors même que le militaire piaffe d’impatience dès qu’il s’agit de se rendre utile et de participer à la protection de ses concitoyens. 
Une quatrième question sera celle du rapport entre nos dirigeants et notre peuple : que l’on nous parle franchement une bonne fois pour toutes ! Arrêtons de nous prendre pour des enfants ou des râleurs impénitents et incontrôlables. Certes, les premiers jours de la crise ne parlent pas en faveur de cette hypothèse : rush dans les supermarchés, ballade dans les parcs et sur les plages, immédiateté des mesures de chômage partiel, absence de compréhension de l’intérêt du confinement… Mais le discours n’est pas si clair qu’il y paraît. 
Le fait d’annoncer un confinement de quinze jours suffit à brouiller les pistes. Si la Chine, foyer de l’infection, a mis 5 semaines pour en sortir avec un confinement strict, dans un pays dont le rapport au collectif et à la démocratie sont bien loin des nôtres, comment croire que deux semaines suffiront en France. Aux 5 semaines de la Chine, il faut rajouter deux semaines de mise en confinement total [cf. le nombre de Parisiens qui ont rejoint leurs provinces mi-mars] et une à deux semaines [minimales] de résorption. Sept à dix semaines paraissent donc mieux correspondre à la réalité, ce qui nous conduirait à une sortie du confinement fin mai – début juin. Une simple réflexion de bon sens conduit à valider cette hypothèse.
Une cinquième question sera celle de notre vivre ensemble ; la crise sanitaire fait déjà la preuve de l’impact réel d’une activité moindre sur l’environnement. Elle apprend à ceux qui le peuvent à travailler à distance d’autant que les grèves des transports fin 2019-début 2020 avaient bien aidé dans les centres urbains à pratiquer le télétravail. La crise permet à tous de réacquérir un peu d’autonomie, à revenir à plus de réflexion, de retrait par rapport à l’actualité, et ce, bien évidemment, au-delà de toutes les gênes quotidiennes et de tous les stress légitimes supportés par chacun d’entre nous. 

Comment voyez-vous l’après-crise ?

Elle sera à la mesure de l’anticipation dont nous aurons su faire preuve. Faute de commissariat au plan qui, en son temps, permettait au-delà des gouvernements successifs de tracer la voie d’un pays vers l’avenir, le rebond risque de se faire dans le désordre. La période de trêve républicaine sera passée, le second tour des élections municipales, le débat sur les retraites et autres sujets épineux reprendront force d’autant que les plaies ne seront pas encore pansées. Les dissensions réapparaîtront et la priorité ne sera pas mise à se réorganiser fondamentalement. Les Américains ne viendront pas en aide des Européens cette fois-ci… l’aide viendra d’Asie. Forts d’avoir utilisé des mesures drastiques combinant sens du collectif, crainte du pouvoir et politique de régulation sociale basée sur l’exploitation de l’Intelligence Artificielle, le modèle chinois n’a pas fini de fasciner ceux qui cherchent un nouveau modèle de société alliant capitalisme, paix sociale et autorité. Sitôt sa situation prise en main, la Chine a proposé son aide tous azimuts. Elle est un des premiers pays à avoir apporté son soutien à l’Italie durement touchée par le Covid 19. 
Dans une logique d’expansion naturelle, sans conflit apparent, mais avec conviction et opiniâtreté, aidé par une vision de son développement à une trentaine d’années [les nouvelles routes de la soie en sont un exemple criant], le gouvernement chinois cherche déjà à effacer du monde le souvenir du foyer primaire qu’est le marché de Wuhan et sera prompt – tout en apportant une aide concrète – à affirmer son emprise. Dans un même trait de temps, la montée en puissance du besoin de recours aux technologies de l’information et de la communication que le confinement mondial provoque va dynamiser l’attente d’accès encore plus fluide que seule la 5G pourra satisfaire. Et qui maîtrise la 5 G à l’instant T, ce ne sont ni les USA, ni l’Europe, mais bien la Chine. Qui tirera les profits de la crise, convaincu que l’occident est en proie au déclin moral et économique ?  
Le président de la République française l’a dit, nous sommes en guerre, une guerre sanitaire, mais une guerre quand même qui provoquera un choc économique alors que nous sortons à peine de la dernière crise financière. À la fin de la 2° Guerre Mondiale, à travers le plan Marshall, les États-Unis ont aidé l’Europe, tout en boostant leur économie de guerre en la transmutant en économie de paix. Qui nous sauvera dans quelques mois ? J’en suis convaincu, le prochain “plan Marshall”, celui de l’après Covid 19, ne sera pas américain ; il sera chinois ! À nous de défendre notre modèle de vie, notre modèle de société et de tirer toutes les leçons de la crise que nous traversons ! 




1.Posté par Khojandi le 21/03/2020 19:52 | Alerter
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Analyse très intéressante. Merci!

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